Les choix de Georges Duby (1919-1996) furent ceux d'un historien form la gographie : la vie des hommes est inscrite dans l'espace, qui lui-mme influence les rapports sociaux. Sa thse, en 1952, donne le ton : il va se consacrer l'tude des socits, en France, entre le Xe et le XIIIe sicle, et en explorer toutes les dimensions, conomiques, sociales, idologiques, esthtiques, sexuelles. Compagnon de route de l'cole des Annales, il est avant tout un esprit indpendant. Semble-t-il se rallier l'histoire vnementielle en acceptant de consacrer en 1973 un livre au Dimanche de Bouvines ? Cette bataille, au fond, ne l'intressait pas, dira-t-il ; "Bouvines innovait en m'obligeant observer le jeu de la mmoire et de l'oubli, traiter le discours dont un vnement a fait objet au fil des sicles, comme constituant cet vnement lui-mme". L'art, lui, intresse l'historien des socits, qui y voit "l'expression d'une organisation sociale, de la socit dans son ensemble, de ses croyances, de l'image qu'elle se fait d'elle-mme et du monde". Au milieu des annes 1960 ont paru chez Skira trois volumes sur l'art mdival. Le Temps des cathdrales (1976) en est issu, fruit d'un impressionnant travail de lecture, d'interprtation des sources et de montage de textes venant de la tradition chrtienne. Le livre captive le grand public clair. La renomme de Duby ne cesse de crotre. Un texte d'accs moins ais comme Les Trois Ordres ou l'Imaginaire du fodalisme (1978) attire lui aussi les lecteurs. La reprsentation de la socit divise en trois catgories fonctionnelles - ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui travaillent - n'est-elle pas l'une des grandes figures de l'imaginaire historique franais ? On propose bientt Duby de prter sa voix l'vocation radiophonique du destin de Guillaume le Marchal, rgent d'Angleterre. De cette exprience nat, en 1984, un rcit "biographique". Nouvelle entorse la "nouvelle Histoire" ? En apparence seulement. Duby dmonte dans ce livre le fonctionnement de la socit chevaleresque. Il donne carrire son dsir d'crire un ouvrage d'histoire srieuse susceptible d'tre lu "comme un roman de cape et d'pe". Nouveau succs. En Italie, l'ouvrage sera compar au Nom de la rose. C'est aux femmes, aux Dames du XIIe sicle, qu'avec une grande libert de pense et d'criture Duby consacrera ses derniers livres. Il aborde l l'histoire "la plus tnbreuse" , celle d'tres sans voix, et dcouvre des femmes "si fortes que les hommes s'efforaient de les affaiblir par les angoisses du pch". Les trois petits volumes parus en 1995 et 1996 tmoignent de l'art avec lequel Duby met son savoir la porte d'un large public. Il n'ignore pas que le rel ou le vcu sont inaccessibles. "Tout historien s'extnue poursuivre la vrit ; cette proie toujours lui chappe". Mais l'criture est l pour suggrer le probable... |