Kessel est difficile situer dans le paysage littraire. On l'y prenait parfois pour un intrus. A la NRF, Gaston Gallimard crut trs tt en lui, tandis que Gide (qui changerait d'avis) et Paulhan avaient, comme on dit, "des rserves" . Peut-tre n'tait-il leurs yeux qu'un reporter crivant des romans, avec une circonstance aggravante : le succs. Alors romancier ou reporter ? Un pur romancier ? un authentique reporter ? La question, vrai dire, ne se pose pas en ces termes. Cette dition ne fait pas acception de "mtiers" ni d'ailleurs de genres littraires. Elle juxtapose dans l'ordre chronologique des ouvrages relevant, des degrs divers, de la fiction, du rcit, du reportage ou de ce que Kessel aimait nommer documentaire - un mot encore neuf dans les annes 1920 et qu'il donna pour titre la premire partie de Vent de sable. Elle bnficie d'autre part d'un fait nouveau : les manuscrits de Kessel sont dsormais accessibles. Ces deux volumes en reproduisent de nombreux lments - dont le scnario indit du Bataillon du ciel - et les exploitent pour cerner ce qui fait la spcificit de l'oeuvre. Le "systme Kessel" , on croit le connatre : courir le monde, faire provision de "choses vues" , livrer des reportages la presse, en tirer (selon des modalits variables) un rcit, puis publier un roman qui utilise (dans des proportions tout aussi variables) ces reportages et ce rcit. Mais les apparences sont trompeuses : Le Lion (roman "knyan" de 1958), par exemple, aurait t conu avant que ne soit achev La Piste fauve (rcit, knyan lui aussi, de 1954). L'oeuvre ne dcrit pas une trajectoire systmatique qui mnerait du rel (terrain du reporter) la fiction (ou littrature). Chez l'auteur de Makhno et sa juive, la ralit n'est jamais chimiquement pure. Kessel pourrait bien tre un prcurseur de ce qu'on appelle aujourd'hui en bon franais la creative non fiction. L'aventure, l'vnement, tel homme rencontr, telle situation vcue possdent pour lui un potentiel potique ou romanesque qui fait d'eux des objets pour l'imagination. Pour le dire la manire de Malraux, le rel est une musique sur laquelle nous sommes contraints de danser. Mais Kessel le trouve insuffisant. Comme Malraux lui-mme, comme Cendrars, Saint-Exupry et bientt Gary, il est de ceux qui offrent la ralit des prolongements puiss dans l'imaginaire. Ce faisant, il place son oeuvre - et ses aviateurs, ses Russes blancs, ses guerriers masa, ses cavaliers afghans - aux confins "du rel, du rve, de l'errance et de l'histoire" (Malraux encore). Il la rend transfrontalire, se rend lui-mme inclassable et fait de l'aventure un mythe moderne. Sans doute respire-t-il "l'air du temps" , qui est aussi le nom d'une collection laquelle il donna des livres ; mais il sait s'en abstraire et atteindre l'essentiel. Ecrite en un sicle qui menaa de mille manires l'espce humaine, toute son oeuvre peut tre lue |