"Prends la photo accrochée au-dessus du lit", me dit ma mère de sa voix ténue comme une plume, tandis que je pousse son fauteuil roulant le long du couloir sombre. Elle est si menue qu'elle flotte dans ses vêtements, mais curieusement, quand j essaie de la soulever de son siège, on dirait qu'elle pèse une tonne. Elle veut parler du portrait de famille tiré à domicile par un photographe au début des années 30 - elle avait quinze ans -, qu'elle voudrait voir figurer en couverture de mon livre. Elle aimerait aussi que je retire tous les objets de sa chambre. Comme si elle se préparait au départ depuis dix ans, depuis que papa et elle ont quitté leur appartement, en fait. A croire qu'ils partaient en vacances avec un simple bagage à main, en abandonnant derrière eux ce qu'ils avaient amassé au cours des années : albums, couvertures, coussins, couteaux, verres à vin, meubles de salon, tapis, lettres, pelisses, fromages allégés, factures d'électricité, carnets de chèques, les livres de mon père et ses papiers. L'âme de la maison, les choses de la vie. Ils avaient tout laissé. Absolument tout. " |